Dispositifs médicaux et techniques : comment accélérer leur adoption par les professionnels de la santé ?

Diffuser largement – et rapidement – un nouveau dispositif médical tient à la fois de l’impératif économique… et du casse-tête. Accès au marché fortement réglementé, procédures excessivement complexes et des professionnels de la santé pas évident à convaincre d’adopter un nouvel équipement. Focus sur les principaux leviers actionnables pour optimiser cette adoption.

Voir son nouveau produit ou service massivement – et rapidement – adopté par ses clients : le rêve de tous les marketeurs, tous marchés et secteurs d’activité confondus. Et pour cause : la diffusion de leurs innovations constitue un enjeu crucial pour toutes les entreprises. La vitesse et la largeur de cette diffusion sont des facteurs clés de la réussite commerciale. En outre, c’est ce qui détermine si un nouveau produit est en mesure de passer du stade de marché de niche à celui de marché de masse…

Évidemment, obtenir une diffusion optimale pour ses nouveaux produits est loin d’être un jeu d’enfant. Et le processus dépend de très nombreux facteurs. Au premier rang desquels figure la diversité de la population ciblée par l’innovation. On fera d’ailleurs le distinguo entre la « diffusion » au sein d’un groupe de personnes et « l’adoption » sur le plan individuel. Cette adoption se définissant comme « le processus [individuel] qui détaille la série d’étapes franchies entre la découverte d’un produit et son adoption définitive ».

Adoption des dispositifs médicaux : un enjeu fort et complexe

Si l’adoption des nouveaux produits représente un défi quel que soit le secteur, celui-ci se corse encore un peu plus sur le marché des dispositifs médicaux. Et ce pour au moins 2 raisons :

  • L’accès au marché pour les fabricants de dispositifs médicaux est un processus long et compliqué. Fortes exigences réglementaires, évaluations cliniques préalables, intégration des mécanismes de remboursement, etc. Le développement et le lancement de nouveaux dispositifs médicaux est un parcours semé d’embûches, avec des obstacles parfois de différentes natures suivant le pays ciblé. Le visuel ci-dessous (source SNITEM) illustre ce parcours pour le marché français, réputé comme l’un des moins faciles d’accès. Une enquête réalisée par le pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (Pipame) positionne ainsi la France parmi « les derniers pays européens dans lesquels la commercialisation d’un dispositif médical serait envisagée ».

Même si des démarches sont mises en œuvre pour rendre ce marché des dispositifs médicaux plus accessible, on comprend l’importance capitale d’aboutir à une adoption rapide des nouveaux produits une fois qu’ils sont lancés sur le marché… Car la fenêtre de lancement est étroite : « Le cycle technologique et commercial d’un dispositif médical est de 2 à 5 ans. Il s’agit de l’un des cycles de vie les plus courts des industries de santé (celui des médicaments est de 10 à 12 ans) » rappelle le Snitem. D’ailleurs, les entreprises du secteur ne s’y trompent pas : dans une étude prospective du PIPAME (basée sur un sondage des fabricants), ces dernières placent la « facilitation de l’adoption et la diffusion de l’offre » comme le tout premier critère de création de valeur, devant même « une réponse au besoin médical et patient avéré ».

  • Les dispositifs médicaux, aussi divers soient-ils, ont pour point commun d’être « utilisateurs-dépendants » : leur mise en œuvre, leur efficacité et leurs résultats sont liés à l’acte d’un professionnel de santé ou plus largement de tout utilisateur (jusqu’aux patients eux-mêmes dans certains cas). Ce qui complexifie considérablement le modèle d’adoption des dispositifs face à :
    • La diversité des utilisateurs concernés (attentes, contraintes, compétences, etc.),
    • Les performances et bénéfices des dispositifs médicaux qui dépendent de leur « bonne » mise en œuvre par les utilisateurs,
    • Aux potentielles modifications organisationnelles ou procédurales induites par l’utilisation d’un nouveau dispositif médical.

Ce caractère utilisateur-dépendant génère des problématiques d’adoption avant même qu’un nouvel équipement ne soit sur le marché, au moment de l’évaluation des bénéfices qu’il est censé apporter. « Reconnue depuis longtemps par la recherche, l’importance du learning-by-doing a été documentée pour l’usage de nombreux dispositifs […], indique le Snitem . Pour qu’un dispositif médical puisse démontrer des bénéfices importants, il convient de l’utiliser dans des conditions optimales. Ces conditions incluent notamment la formation des équipes et la courbe d’apprentissage des professionnels de santé ».

Le modèle de diffusion des innovations technologiques

Une fois sur le marché, comment se diffuse un nouveau dispositif médical ? Parmi l’abondante littérature existant sur la question de la diffusion de l’innovation, les travaux d’Everett Rogers -initiés dès les années 60 et dont la dernière version date de 1995 –font encore figure de référence sur de nombreux secteurs, dont les plus technologiques. Le modèle défendu par ce sociologue et statisticien américain décrit « le processus par lequel une innovation est communiquée à travers certains canaux, dans la durée, parmi les membres d’un système social ». Selon lui, l’adoption au niveau des individus se décompose en 5 phases :

  • La connaissance : exposé à l’innovation, l’individu réagit en fonction de son profil personnel et du système social dans lequel il évolue ;
  • La persuasion : l’étape cruciale où l’individu amorce une prise de position concernant l’innovation et réagit en fonction notamment des caractéristiques du nouveau produit ;
  • La décision où l’individu s’engage dans l’utilisation et l’évaluation, lui permettant d’adopter ou de rejeter l’innovation;
  • L’implantation où l’individu est en recherche d’assistance pour réduire ses incertitudes ;
  • La confirmation : l’individu cherche des informations pour confirmer son choix.

De ce modèle, Rogers en déduit deux courbes (voir ci-dessous) :

Taux d'adoption des innovations dans le domaine scientifique

Source : http://www.actinnovation.com/innobox/diffusion-innovation

  • La courbe d’adoption ou courbe « en cloche », qui représente les 5 profils d’utilisateurs qu’une innovation doit convaincre pour se diffuser largement : les innovateurs (2,5%), les adopteurs précoces (13,5%), la majorité précoce (34%), la majorité tardive (34%) et les retardataires (16%). A noter que ces profils, aux attentes bien différentes, correspondent à une répartition purement statistique et totalement indépendante des caractéristiques de la population observée.
  • La courbe en S représentant l’évolution de la diffusion d’une innovation. Soit la distribution cumulée des adopteurs à travers le temps. Evidemment, il s’agit d’une courbe générique, appelée à varier en fonction de chaque innovation et de chaque population d’utilisateurs, comme l’illustre le graphe ci-dessous (source Greenhalgh et al – Barriers to innovation in the field of medical devices – World Health Organisation).
Graphique des différentes innovations et populations

Les leviers d’adoption des nouveaux produits

Dans son modèle Everett Rogers identifie 5 caractéristiques intrinsèques de l’innovation qui influencent la vitesse de sa diffusion et expliquent « entre 49 et 87% » de la variation de l’adoption d’un nouveau produit :

  • L’avantage relatif, tel qu’il peut être perçu par l’utilisateur/consommateur, tant sur le plan économique que social.
  • La compatibilité, c’est-à-dire le niveau d’adéquation entre les valeurs et les pratiques existantes des utilisateurs potentiels et celles nécessaires à l’utilisation de l’innovation.
  • La complexité : une innovation qui nécessite un apprentissage sera a priori plus lente à se diffuser.
  • La possibilité de tester pourra faciliter l’adoption en diminuant les incertitudes et en favorisant le bouche à oreille.
  • L’observabilité des résultats. Ce facteur permet de démontrer plus facilement les avantages de l’innovation et donc de réduire les incertitudes.

D’autres facteurs exogènes (ou externalités) sont également cités comme de potentiels facilitateurs de la diffusion de l’innovation. On parle là d’externalités de réseau, notamment dans les industries technologiques et les technologies de l’information :

  • Les externalités directes : un « grand » nombre d’utilisateurs d’un produit ou service peut augmenter sa valeur.
  • Les externalités indirectes : l’existence d’un (grand) nombre de biens complémentaires au nouveau produit augmente sa propre valeur (des jeux vidéo pour une console de jeux par exemple).

Dispositifs médicaux : un modèle d’adoption moins linéaire que cela

Même si ce modèle de diffusion de l’innovation fait référence et apporte déjà des clés pour améliorer/accélérer l’adoption, il est souvent jugé trop simpliste pour le secteur des dispositifs médicaux : « Bien que ce modèle a le mérite, notamment, de conceptualiser la formation de l’opinion au sein de groupes de pairs, sa linéarité ne rend pas compte de la complexité des mécanismes de feedbacks contextualisés qui influencent les développements technologiques en médecine, peut-on lire dans Barriers to innovation in the field of medical devices, document complémentaire au rapport du projet Dispositifs médicaux prioritaires de l’OMS. Démontrant que les preuves scientifiques ne suffisent pas à garantir une bonne diffusion des nouveaux dispositifs médicaux, le rapport conclut qu-il existe une interaction entre les systèmes technologiques et sociaux, engageant de multiples acteurs vers une interface/structure inter-organisationnelle. Au final, la diffusion des dispositifs médicaux peut résulter d’organisations et de process stables, mais peut aussi être tributaire d’événements inattendus… Ce qui en fait un process ni totalement aléatoire, ni totalement prévisible ».

Dispositifs médicaux et réalité virtuelle

Sans être totalement écarté, le modèle linéaire d’Everett est ainsi modifié, enrichi ou challengé par de multiples études spécifiques au marché des dispositifs médicaux (notamment celles de Fitzgerald, Consoli, Blume, Greenhalgh, ou Gelinjs & Rosenberg), lesquelles mettent en exergue bon nombre de spécificités, dont :

  • Le fait que dans le monde de la santé, une solution unique fait rarement l’unanimité parmi les professionnels,
  • L’innovation en matière de dispositifs médicaux est souvent incrémentale, et implique des échanges beaucoup plus complexes (feedbacks, corrections, etc.)
  • L’innovation n’implique pas uniquement les professionnels de santé, mais de nombreux autres interlocuteurs (consultants, universités, entreprises, régulateurs, etc.)
  • L’idée que l’influence interpersonnelle via les réseaux, les leaders d’opinion, etc. constitue la mécanique de diffusion dominante, et que ce modèle d’adoption se développe au sein de structures sociales assez différentes : « les médecins fonctionnent ainsi avec des réseaux informels et horizontaux, propices à la diffusion de l’influence entre pairs. Les infirmières ont en revanche des réseaux plus formels et verticaux, plus adaptés à une information en cascade et la transmission de décisions faisant autorité ».
  • Les dispositifs médicaux innovants peuvent induire de profondes modifications sur le plan organisationnel, générant leurs propres problématiques : freins au changement, transfert de responsabilités, besoins en formation, etc.

« La traduction de la connaissance dans la pratique peut être compris comme un processus d’apprentissage à long terme, caractérisé par un échange constant d’informations entre les développeurs de la technologie et ses utilisateurs afin de réduire progressivement les incertitudes liées à la mise en œuvre d’un nouveau traitement » conclue l’étude de l’OMS.

Faciliter la découverte et l’utilisation des dispositifs médicaux: une des clés du succès Quel que soit le modèle de diffusion pressenti comme le plus adapté au cas des dispositifs médicaux (la famille des dispositifs médicaux est suffisamment large pour qu’ils n’obéissent pas tous aux mêmes règles en la matière), un facteur apparaît systématiquement comme un levier essentiel… ou un frein à la diffusion s’il n’est pas suffisamment pris en compte: l’information et la formation à l’utilisation des dispositifs médicaux.

Un constat qui vaut d’ailleurs dans tous les pays, développés ou en voie de développement, selon l’OMS, qui cite parmi ces barrières « communes » à l’innovation « le manque de formation du personnel à l’utilisation des nouveaux appareils, l’hostilité par rapport à des pratiques médicales établies et la réticence à admettre un besoin d’amélioration des compétences ».

Utilisation des dispositifs médicaux et formation en réalité virtuelle

Dans un rapport du Conseil Général de l’Économie datant de février 2019 et présentant des réflexions stratégiques sur la politique industrielle en matière de dispositifs médicaux, ce besoin de formation figure là encore en très bonne place : le rapport recommande ainsi de développer les formations initiales et continues sur les dispositifs médicaux. Et de « concevoir et mettre en place des plans de formation des professionnels de santé, des structures d’accompagnement et des industriels aux besoins réels qui sont à la fois d’ordre scientifique et technologique mais également organisationnels et expérientiels ».

Ce levier pour améliorer la diffusion des dispositifs médicaux étant identifié, reste à déterminer quels sont les moyens les plus efficaces pour former les utilisateurs de ces équipements, optimiser la courbe d’apprentissage, limiter les risques d’erreurs ou de mauvaises manipulations…Une problématique bien identifiée dans le rapport du CGE : « la clé est de bien cerner les besoins dans ce domaine et d’élaborer les programmes de formation adaptés. Peu de formations parviennent à intégrer l’ensemble des besoins qui sont à la fois d’ordre scientifique et technologique mais également organisationnels et expérientiels ».

Les nouvelles technologies, telles que la réalité virtuelle et la vidéo immersive, apportent de nouvelles solutions très intéressantes à ces problématiques…

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